Archives – 1999
Discours de Mme Ruth DREIFUSS, présidente de la Confédération
Berne, Palais fédéral, 25 mars
(texte intégral)
Monsieur le Président,
Permettez-moi de vous souhaiter encore une fois la bienvenue en Suisse, au nom de ses autorités, de ses citoyennes et de ses citoyens. Nous venons d’assister à un événement qui vous a blessé, Monsieur le Président. Voyez-y tout simplement le fait que les citoyennes et les citoyens de ce pays, certains groupes aussi de la population suivent avec un grand intérêt et votre visite et les entretiens que nous allons avoir.
Votre visite fait date dans l’histoire de nos relations. À la suite du premier voyage en Chine du président de la Confédération, celle de notre regretté Jean-Pascal DELAMURAZ. Vous êtes le premier président chinois à nous faire l’honneur d’une visite d’État.
Nous vous accueillons l’année même où vous célébrez le cinquantenaire de la République populaire de Chine. Et à la veille de célébrer le cinquantième anniversaire de nos relations diplomatiques. La Suisse a été parmi les tous premiers pays à reconnaître la nouvelle République et le gouvernement qui entendait exercer pleinement sa responsabilité vis-à-vis du pays et de sa population. Et cette responsabilité, assumée depuis un demi-siècle par les autorités de la République populaire de Chine, personne ne saurait en contester les grandes réussites. La population chinoise a connu une élévation considérable de son niveau de vie. Elle a surmonté les fléaux de la faim, des grandes épidémies et de l’analphabétisme. Les sciences et les techniques ont connu un développement remarquable. La richesse de votre civilisation, Monsieur le Président, est illustrée par les récentes découvertes archéologiques et par la mise en valeur d’un somptueux héritage. Une liberté croissante des artistes a permis un essor bienvenu de la création culturelle.
Ces succès ont été couronnés ces dernières années par une croissance économique sans précédent, le développement industriel et la capacité concurrentielle de la Chine dans le commerce mondial ont libéré des potentialités auxquelles les entreprises suisses ont voulu, en fonction de leur capacité, s’associer. Nos échanges économiques se sont ainsi intensifiés et, bien logiquement, l’envie de rencontrer vos concitoyens, l’envie de découvrir l’immensité de la Chine, de sa culture, de ses richesses, a gagné, elle aussi un nombre croissant de mes compatriotes. L’année passée, ils ont été près de 30’000 a visité la Chine. C’est une sympathie réciproque, si l’on sait que l’on estime à 25’000 environ le nombre des Chinois a avoir voyagé en Suisse.
C’est dire, Monsieur le Président, que nos échanges se déroulent dans l’amitié, le respect réciproque, qui reconnaît que nos deux pays, si différents, peuvent dialoguer dans l’égalité et la volonté d’apprendre, l’un de l’autre. La longue tradition de nos relations, notre respect construit sur une meilleure connaissance de nos cultures, la volonté d’accroître nos échanges économiques, nous permettent d’échanger des points de vue parfois critiques, de façon franche et ouverte. La Suisse, – je l’ai souligné, – tient en haute estime la responsabilité politique pleinement assumée pour la conduite de l’État. C’est dans cette perspective que nous entretenons un dialogue sur les droits de l’homme. La Suisse, petite nation formée par la volonté de vivre ensemble de communautés différentes, a appris au fil des siècles, que les droits nécessaires à l’épanouissement des membres les plus faibles de sa communauté, sont des droits indispensables à tous, et que les minorités qui composent notre nation méritent une protection toute particulière de leurs droits. Cette expérience, Monsieur le Président, nous entendons la partager. La Suisse possède ainsi une longue tradition humanitaire qu’elle offre à la communauté internationale. Et je constate avec bonheur, qu’en acceptant un dialogue sur les droits de l’homme, la Chine a voulu elle aussi faire usage de cette offre.
Dans ce domaine, nos divergences d’opinion portent sur les droits des minorités, telles que la population tibétaine, à vivre leur propre culture ou sur les droits civils et politiques des personnes. Elles peuvent cependant être abordées dans la perspective de partenaires soucieux de réaliser au mieux les objectifs généraux, que nous reconnaissons communément comme nécessaires. La Chine a ainsi récemment signé les deux pactes de l’ONU en matière de droits de l’homme. Je me réjouis de ce pas politique important, qui s’ajoute bien logiquement à cette responsabilité pleinement assumée que j’ai évoquée. La Chine va continuer dans ces prochaines années à réaliser les travaux d’adaptation législative et structurelle, nécessaires à la ratification de ces pactes. Monsieur le Président, soyez assuré que la Suisse souhaite vous accompagner dans ce processus ambitieux qui permettra à chacun de vos concitoyens de disposer de droits civils et politiques plus étendus.
Monsieur le Président, nous sortons d’une année difficile pour l’économie mondiale. La globalisation nous interdit désormais de penser l’économie du seul point de vue régional. La crise financière qui a débuté en Asie du Sud-Est, qui a secoué très durement les économies japonaise et coréenne, qui a mis sous pression l’économie chinoise, s’est ensuite étendue à l’ensemble des places financières. Tout le monde est concerné, de près ou de loin. Dans cette crise, la Suisse a voulu très tôt signaler à ses partenaires asiatiques qu’elle entendait assurer sa présence, en répondant aux engagements pris, en étant disponible pour de nouveaux projets, en favorisant les échanges économiques. Votre visite permet donc d’approfondir les liens économiques qui sont tissés entre nos pays et de montrer que la Chine appartient pleinement aux partenaires économiques indispensables avec lesquels nous voulons construire le monde de demain.
Un monde que nous devons avoir pour ambition de rendre plus solidaire. La solidarité que nous entendons promouvoir, c’est celle qui recherche des politiques sociales impliquant un partage des bénéfices et des charges de la croissance, un respect accru des besoins des personnes et des équilibres fragiles de l’environnement. C’est celle qui concrétise l’interdépendance entre le développement économique et la promotion des droits de l’homme et du droit humanitaire. Nous constatons ainsi avec satisfaction que la cause du droit humanitaire rencontre toujours plus de soutien dans la communauté internationale. Un des plus récents succès est sans aucun doute l’entrée en vigueur du Traité d’Ottawa sur l’abolition des mines anti-personnelles. La Suisse espère de tout son cœur que les trois plus grandes puissances de ce monde, les États-Unis, la Russie et la Chine, s’engageront bientôt à adhérer à ce traité.
La Chine, Monsieur le Président, nous apprend à voir le monde dans de toutes autres dimensions spatiales ou temporelles que nous le faisons généralement. L’immensité de son territoire, la perspective d’une culture qui a traversé au fil des millénaires tant d’aléas ne nous fait pourtant pas oublié l’importance de chaque être humain, l’histoire de chaque culture. La Suisse avec son expérience d’une société multiculturelle tient ainsi à porter à la communauté internationale et à la Chine la vision d’une nation qui sait qu’elle doit se soucier du bien-être et de l’épanouissement de toutes les communautés coexistant sur son territoire restreint, la vision d’un État convaincu qu’il ne peut survivre dans l’ensemble des nations que par la paix et le respect du droit international.
Monsieur le Président, par votre visite, vous témoignez de votre amitié personnelle pour une nation éloignée et bien différente de la vôtre. J’y suis sensible, et je vous remercie au nom de mon pays, de son gouvernement, de sa population.
Je me réjouis de vous écouter, Monsieur le Président.