Femmes et société
Les Romands rêvent de Chine
Sabrina pratique l’art de la calligraphie, Lucas enseigne le wushu, Ingmar apprend les quatre tons des monosyllabes chinois, Véronique s’entraîne au qi gong. Ils sont tous Romands, tous fascinés par les traditions chinoises, passées et présentes.
Monique Stidel, Femina, n° 24, 11 juin 2000
Lire et écrire des pictogrammes, est-ce vraiment un casse-tête chinois? Pas du tout, si l’on en croit celles et ceux qui pratiquent cette langue.
Directrice du Beau-Rivage Palace à Lausanne, polyglotte, Irmgard Müller s’est découvert une nouvelle passion linguistique. « J’étudie le chinois depuis une dizaine de mois. Pour moi, c’est une langue très facile. Pas ou peu de grammaire, il suffit presque d’apprendre les mots et de les mettre ensemble pour parler. J’ai une bonne mémoire visuelle, je photographie donc les caractères dans ma tête et je les retiens. Par rapport aux autres langues, l’approche est totalement différente. Je suis sensible à la philosophie chinoise, et les caractères sont si beaux! Et puis, connaître cette langue rend les gens plus proches. Je m’intéresse à eux, à leur culture aussi. C’est un peu comme une fenêtre qui s’ouvre sur leur monde. »
Concrètement, pour bien apprendre cette langue, il faut tout oublier. Recommencer à zéro. Sociologue, féru de Chine où il séjourne souvent, Gérald Béroud a suivi les cours de l’Université de Genève, il parle et écrit le chinois. Depuis plusieurs années, il dirige une entreprise de services et d’études du monde chinois. Pour lui, « c’est une langue comme une autre, elle est très logique dans la construction du caractère, mais c’est une langue tonale qui n’a strictement rien à voir avec nos repères familiers ». Ainsi, chaque mot est affecté d’un ton (il y en a quatre différents), c’est-à-dire d’un profil mélodique en même temps que d’une position haute ou basse, à la façon de notes sur une portée.
Née vers le IIe millénaire av. J.-C., codifiée vers 1500 avant notre ère, l’écriture chinoise a été constituée en système cohérent entre 200 av. J.-C. et 200 apr. J.-C. Contrairement à l’Egypte qui a abandonné les hiéroglyphes ou à l’Irak qui a délaissé le cunéiforme, la Chine est restée fidèle à ses origines et utilise toujours le pictogramme. Certes, comme l’explique Georges Jean(1), les pictogrammes se sont rapidement stylisés. Les traces des primitifs subsistent cependant et donnent à cette écriture une calligraphie poétique, particulièrement manifeste dans les combinaisons de caractères. Un exemple? Si l’on ajoute oreille et dragon, on obtient un caractère composé qui signifie sourd. Mais là où les Chinois font des chinoiseries, c’est dans les sons. Un seul son peut signifier, selon la graphie, plusieurs choses. Le son shi, par exemple, peut dire savoir, être, puissance, monde, faire serment, partir, mettre en ordre, affaire, être passionné de, regarder, veiller sur, compter sur, aller à, se diriger vers, essayer, expliquer, maison Allez vous y retrouver.
Chaque caractère s’inscrit dans un carré parfait qui se compose généralement d’une clef (il y en a 214 au total) placée à côté d’un autre caractère qui en précise le sens. L’élément pouvoir précédé de la clef eau signifie rivière; le même élément associé à la clef parole donne critiquer. Une partie phonétique fournit des indications sur la prononciation. Si le chinois de tous les jours se lit de gauche à droite, le chinois savant et la poésie, en revanche, se lisent de haut en bas et de droite à gauche.
Les mots, explique Jean-François Billeter (2), sont monosyllabiques et invariables. Quand ils ont plus d’une syllabe, ce qui est fréquent, ce sont des mots composés. Comme les mots sont invariables, il n’y a ni déclinaisons ni conjugaisons. Il n’y a pas non plus de genre masculin ou féminin. Ces monosyllabes parfaitement lisses ne portent pas non plus de marques qui distingueraient les verbes, par exemple. Alors, se demande le professeur retraité, comment construire des phrases avec de tels mots? Comment rendre visibles les relations syntaxiques? Il y a bien une douzaine de mots à fonction purement grammaticale, mais à l’évidence ce ne sont pas eux qui soutiennent la langue, qui lui donnent sa charpente. En fait, l’intelligibilité de la phrase est assurée par quelques règles sur l’ordre des mots. Des règles combinables qui font du chinois une langue beaucoup plus simple, dans ses principes, que les langues européennes, et que le français en particulier.
Le débutant s’aperçoit très vite que pour bien manier une syntaxe si nouvelle, apprendre à exprimer des idées complexes avec des moyens aussi simples, il faut de la mobilité d’esprit, de l’imagination et une bonne dose d’entraînement. Travailler, encore travailler, voilà le secret pour avancer et mémoriser des milliers de caractères. Une chose qu’on nous dit d’emblée à Genève lorsqu’on commence les études, déclare Gérald Béroud. Il ajoute qu’il est précieux de posséder une mémoire visuelle rapide et une bonne oreille. Parce que, en chinois, beaucoup de mots simples sont homophones. Ou le seraient, explique encore Jean-François Billeter, si chaque monosyllabe n’était affecté d’un ton. Pour nous, c’est là que réside la plus grande difficulté: il faut en effet produire les tons, c’est-à-dire les chanter, et exécuter de façon juste les mélodies qui résultent de leurs enchaînements.
Apprendre une langue orale, mais aussi une langue graphique, voilà un beau défi. Mais ensuite, quelle récompense… Comme le confie le professeur genevois, quelqu’un qui maîtrise cette écriture peut non seulement lire tout ce qui s’écrit dans le monde chinois d’aujourd’hui, mais aussi tout ce qui s’y est écrit dans le passé. Ce qui n’est pas une mince affaire…
Lire:
(1) « L’Ecriture. Mémoire des hommes », Georges Jean – Découvertes Gallimard (1987, 225 pages).
(2) « Mémoire sur les Etudes chinoises à Genève et ailleurs », Jean-François Billeter (1998, 95 pages).
Sabrina aux mains ailées
Écrire le chinois est tout un art. Comment retenir son souffle, comment assurer la pureté d’une ligne? Sabrina Yan l’enseigne à ses élèves.
Monique Stidel
Au XXIe siècle, où rapidité et rentabilité prédominent, la calligraphie reste un art difficile et obligatoire en Chine, tout de patience. Brûler les étapes ne sert à rien. Professeur assistante à l’Académie des beaux-arts de Canton, Sabrina Yan donne des cours à des adultes et, une fois par mois, à une vingtaine de mômes surdoués de 6 à 14 ans. Elle présente d’abord brièvement l’histoire des caractères chinois, leur origine, leur construction et leur graphisme, avec l’indispensable ordre des traits. Puis elle fait place aux matériaux, à l’encre de Chine, au papier de riz et au pinceau chinois, dont les mouvements sont si particuliers. Viennent ensuite des exercices pratiques où chacun apprend à exécuter les huit traits de base puis à tracer les premiers caractères complets. « Je les choisis, dit Sabrina, en fonction de leur relative simplicité et de leur fréquence. Ils peuvent donc constituer un vocabulaire de base pour celles et ceux qui souhaiteraient un jour apprendre le chinois. »
Trois principes imprègnent la calligraphie: le souffle, la position du corps et la concentration. Un mouvement poussé ou tiré ne sera pas le même si l’on inspire ou si l’on expire en le faisant. Pour que la ligne reste pure sur toute sa longueur, le calligraphe retient son souffle. Avant de calligraphier une lettre ou un mot, il doit prévoir les endroits où il lui sera possible de reprendre son souffle et, par la même occasion, de l’encre.
Le calligraphe doit travailler dans une ambiance sereine, en faisant le vide autour de lui. Quand sa main est « ailée », son énergie atteint son maximum et il en charge ses lettres. La danse du geste commence alors; et avec elle la joie, la paix, l’angoisse parfois quand on sait que la capacité d’absorption immédiate du papier ou de la soie rend tout repentir, correction ou effacement impossibles. On s’aperçoit aussi que la texture extrêmement souple du poil transmet immanquablement chaque geste de la main ou du bras… Chaque frémissement.
Adultes:
Université populaire de Lausanne prix du cours, prévu en automne 2000, 280 francs.
Inscriptions au tél. (021) 312 43 48, fax (021) 311 50 73
Internet: http://www.uplausanne.ch/
E-mail:
Enfants:
Association suisse pour les enfants précoces
Mme Frédérique d’Agostino
Villars-le-Terroir
Tél. (079) 233 13 23.
Où parler à Lausanne…
Le dernier samedi de chaque mois, au Chinese Corner, dans le parc du Musée de l’Elysée (en cas de pluie à la cafétéria du Musée olympique), dès 14 heures, sans inscription et tout à fait spontanément, les amoureux de cette langue (débutants comme avancés, qu’importe) conversent. De tout et de rien, en toute simplicité, mais en chinois bien sûr.
Adresse de contact: https://www.sinoptic.ch/chinesecornerls/
Sur le net
https://www.sinoptic.ch/
Ce site gratuit, indépendant et très complet créé par Gérald Béroud, intitulé Services et études du monde chinois, est remarquablement bien fait et rencontre un grand intérêt. Environ 5000 pages sont consultées chaque semaine.
http://www.cctv.com/
Site de China Central Television (CCTV) – en chinois et en anglais.
La voie des moines guerriers
Les arts martiaux chinois se répandent en Suisse romande. Mais pas question de se battre, les adeptes du wushu travaillent sur leur corps, leur souffle et leur âme. Rencontre avec des passionnés.
Sylviane Pittet
A 26 ans, Lucas Christopoulos n’a rien usurpé. Son nom côtoie aujourd’hui la grande lignée des pratiquants de tongbiquan, un style de kung-fu traditionnel. Dans les cours qu’il donne à Lausanne depuis deux ans, on ne parle pas vraiment de se battre ni de se défendre, mais plutôt d’apprendre le kung-fu en comprenant la culture du wushu. Développer l’âme (shen), l’essence (jing) et le souffle vital (qi).
Ses élèves – des enfants et des adultes dont quelques femmes – reçoivent-ils le message? « D’une façon générale, j’attends deux ans avant d’enseigner les techniques de combat. A mes yeux, cette période d’observation s’impose. Pas question d’initier au kung-fu des personnes qui veulent s’en servir pour se battre, même si le maniement des armes, hallebardes, lances ou sabres, fait partie de la discipline. » De la patience, pas mal de pratique et beaucoup d’efforts, l’art des moines guerriers ne s’apprend pas en un jour. « Les gestes et les figures supposent une maîtrise à la fois corporelle et mentale, remarque ce père de famille, 42 ans, pratiquant le kung-fu depuis le début de l’année. Pour moi, l’idée de combat n’entre pas en ligne de compte, à l’inverse d’autres élèves, les jeunes en particulier. »
Spectaculaire, imitant par instants des mouvements d’animaux, le kung-fu demande force, rapidité et souplesse, mais, contrairement au judo et au karaté, les dans (grades) n’existent pas. Le pratiquant ajoute des barrettes à l’écharpe d’étoffe qu’il porte à la taille au fur et à mesure de sa progression, et à la dixième barrette (et au terme de dix ans de pratique environ) il décroche sa ceinture noire. Moins connu que les arts martiaux japonais et coréens (judo, karaté, aïkido ou taekwondo), le kung-fu sera bientôt discipline olympique. C’est du moins le désir exprimé par les dirigeants de la République populaire de Chine.
Ceinture noire et professeur de kung-fu à Morges, Jean-Pierre Beauverd, lui, n’a jamais mis les pieds en Chine. Ce qui n’empêche pas cet admirateur de Bruce Lee, 45 ans, de prôner une philosophie et un état d’esprit où le respect de l’autre compte autant que les épreuves de katas. « Les enfants et les ados qui veulent juste se battre déchantent vite, avoue-t-il. Si j’enseigne effectivement des techniques de combat, c’est dans un esprit positif: pour se faire du bien, apprendre à se défendre et à canaliser l’agressivité. En parallèle, nous travaillons également le tai-chi et le qi gong. »
Technique de bien-être basée sur la maîtrise du souffle, le qi gong de santé jouit ces temps-ci d’un élan de popularité en Suisse romande. Grâce à des mouvements doux et profonds, le souffle circule au creux des cinq organes (foi, cœur, rate, poumon, rein), chacun d’eux étant combiné avec les cinq éléments (bois, feu, terre, métal, eau). Cette gymnastique lente et profonde, associée à un temps de méditation assis, se pratique à n’importe quel âge.
Quand elle dit être professeur de qi gong en Suisse, Véronique Terrier, Lausannoise d’une trentaine d’années, étonne ses interlocuteurs chinois. Les Occidentaux seraient-ils aptes à la patience? Etudiante à l’Université de Genève au début des années quatre-vingt, Véronique s’inscrit au cours de chinois du professeur Jean-François Billeter sans imaginer une seconde que le déclic la conduirait à Pékin en 1984. Plongée jusqu’au cou dans le quotidien chinois, elle y apprend la langue et le qi gong en vivant avec les Chinois, tout simplement. « La longue histoire de la Chine m’intéressait moins que la réalité d’aujourd’hui. »
Pas facile pourtant de suivre les rigides écoles made in China. « Les professeurs enseignaient des positions debout, sans bouger, durant une heure, se souvient-elle. C’était en plein hiver, nous étions quelques Occidentaux, certains bâchaient. Même à Taiwan, il arrive que des enseignants refusent d’initier les Occidentaux. C’est vrai qu’il faut être patient, persévérer et pratiquer. Commencer le qi gong, c’est comme se mettre au violon. On n’arrête jamais d’apprendre. »
Sans cesser les aller et retour avec la Chine pour y suivre les enseignements de maîtres reconnus, Véronique Terrier a poursuivi sa formation à l’Institut européen du qi gong, à Aix-en-Provence (France). Elle partage aujourd’hui son savoir avec des personnes de tous âges à Lausanne, Yverdon et Epalinges. Comment choisir sa voie et s’assurer du sérieux d’un professeur? « Ouvrez les yeux et faites preuve de bon sens, conseille-t-elle. Nos professions ne sont pas protégées, même si cela se précise en France, et n’importe qui peut enseigner. » Un conseil valable pour toutes les disciplines, y compris le tai-chi-chuan, en vogue aussi sous nos latitudes, dont la réputation n’est plus à faire. Gymnastique douce, art martial d’autodéfense et méditation dynamique, cette « technique de longue vie » entraîne des bienfaits physiques et psychologiques, comme la maîtrise du stress et l’assouplissement des articulations.
Pratiquants de kung-fu, de tai-chi ou de qi gong, les aficionados s’envolent souvent vers l’Orient pour étudier leur passion là où elle se vit. Un voyage initiatique vers une Chine souvent rêvée, parfois méconnue. « On aime ou on déteste, il n’y a pas de milieu, sourit Véronique, qui organise des séjours en Chine avec ses élèves. C’est un pays qui nous balance des paradoxes en pleine figure. Mon séjour m’a ouvert des portes, à l’intérieur. Prendre du recul face à ma propre culture m’a permis ensuite de m’en rapprocher. Et de l’apprécier. »
Sources:
« Combat à Main nue », Roland Habersetzer – Ed. Amphora, 1998.
Site bien documenté sur le wushu: http://rafale.worldnet.net/~kung-fu/ [ce lien ne fonctionne plus]
Glossaire:
wushu: terme générique donné aux arts martiaux chinois (art de la guerre). Il regroupe diverses écoles (pai) dont environ 150 dans la Chine d’aujourd’hui.
kung-fu (ou gongfu): art martial chinois, proche du karaté, désignant un ensemble de techniques de combat avec ou sans armes. Le terme signifie « travail parfait » ou « voie de l’accomplissement » (kung est le but à atteindre et fu l’homme).
tai-chi-chuan (ou taijiquan): gymnastique traditionnelle, aussi appelée « boxe du vide », comportant des exercices de santé et des techniques de combat. On se bat contre un adversaire imaginaire tout en assimilant la philosophie chinoise du yin et du yang.
qigong: gymnastique de santé chinoise basée sur la maîtrise du souffle. Agé de plus de 3000 ans et très populaire en Chine, le qi gong appartient au kung-fu « interne », comme le tai-chi et les courants originaires du Mont-Wudang. Des voies essentiellement philosophiques conduisant vers l’accomplissement de soi, contrairement au kung-fu « externe », plus axé sur des techniques de combat.
falungong: mouvement d’inspiration bouddhiste dont la pratique se base sur cinq exercices quotidiens de qigong et la lecture d’un ouvrage du maître, Zhuan Falun [en fait, il s’agit de LI Hongzhi]. Sa philosophie tient en trois mots: vérité, compassion, tolérance, mais ce groupe, considéré comme une secte dangereuse, est fermement combattu en Chine.
Lingling aux doigts de fée
Sylviane Pittet
De la Suisse, elle connaissait le café soluble, les tocantes et le chocolat. Un monde à mille lieues du sien, la Chine du Sud et de Hangzhou, mythique point de départ des Routes de la Soie, la ville où elle naît voilà un peu plus de trente ans. Discrète, Yu Lingling* ne dévoile pas son âge. Seul son parcours d’enfant prodige raconte un passé où chaque étape et chaque prix se dessinent comme des notes sur une partition.
Débuts au erhu, le violon chinois, elle a 9 ans et un prénom qui tinte comme une clochette. Comme elle apprend vite, elle se met au pipa (prononcer pchiba), une pièce de bois de platane aux formes rondes, aussi appelé luth chinois. Sa réputation d’instrument difficile le précède, mais Lingling n’en démord pas, elle aime ce son, ces aigus sifflants et ces basses râpeuses. « Une sonorité qui surprend celui qui l’entend pour la première fois. Et c’est souvent le cas ici », dit-elle.
Scotchant de faux ongles rigides au bout de ses doigts, elle a pris le pipa contre elle, droit comme un i sur ses genoux. Pareilles à une pluie de gouttelettes, les notes volent et planent dans son une-pièce-cuisine lausannois. Le visage tendu vers l’instrument, les cheveux retenus par une longue épingle, Lingling s’absorbe dans la musique et joue par cœur. Ses doigts courent sur les cordes, les pincent, tambourinent, puis les étirent. On jurerait entendre une guitare flamenca, puis c’est la Chine qui revient, celle des dynasties et de l’opéra.
La, ré, mi, la. Quatre cordes tintent et grésillent, l’air est poétique. « C’est une composition du sud de la Chine. Elle parle des rivières, des montagnes au crépuscule, lorsque les hommes rentrent du travail. Vous entendez? Lorsque je tire sur cette corde, le son rappelle celui des rames balayant le fond de l’eau. » Étonnant, autant que l’aria baptisée Embuscade où les cordes pincées produisent cliquetis d’épées et hennissements de chevaux. « Les sons ne trompent pas, l’œuvre raconte la bataille de Gaixia, en l’an 200 av. J.-C., sourit-elle. Vous entendez les guerriers croiser le fer et les chars grincer… »
Enfant du pays de Mao, Lingling aurait pu ne jamais étudier le luth. A l’époque, l’État ne chérit ni la culture ni les virtuoses, loin s’en faut. Epaulée par ses parents, cette fille d’ingénieur d’une famille de trois enfants s’accroche et révèle son talent. Premier prix au concours d’entrée du Conservatoire central de Chine à 14 ans, elle remporte la compétition nationale de musique traditionnelle chinoise à Beijing en 1988. Licenciée en lettres, elle enseignera la musique à l’Université de Qing Hua, à Beijing, jusqu’à son départ pour l’Europe en 1998.
Quels rêves de futur? Travailler, encore, et s’enrichir de l’influence des compositeurs qui ont croisé sa route, comme le fameux Liu Dehai qu’a dirigé autrefois Karajan. Tisser des liens entre les musiques orientale et occidentale aussi, et composer surtout, sa passion, sont la raison de sa venue en Suisse où elle étudie aux Conservatoires de Lausanne et de Genève. Professeur de tai-chi à ses heures, Lingling tourne en Romandie, hôte solo de soirées privées ou non. En avril dernier, la fête se la jouait world music: l’antique pipa côtoyait jazz, blues et flamenco au Festival de la guitare de Fribourg.