Archives – 2000
50e anniversaire des relations diplomatiques entre la Suisse et la République populaire de Chine
10 ans du Centre d’études et de documentation suisse à Beijing
Allocution de Monsieur Alexander WENZEL
Délégué du Secrétariat de Pro Helvetia
et Responsable du traitement des documents du Centre d’études suisses de Beijing
Mme la Présidente,
Chers amis du Département de français, du Département d’allemand et de l’Université des langues étrangères de Beijing,
Chers mis du Centre d’études suisses,
Monsieur l’Ambassadeur,
Je vous remercie vivement de nous avoir invités et de nous accueillir si chaleureusement ici à Beijing pour célébrer avec nous l’anniversaire du Centre d’études suisses. Je remercie également les uns et les autres pour leur soutien et leur aide active et concrète à l’organisation de cet événement.
Permettez-moi de commencer avec une citation de Franz Kafka. Certes, Franz Kafka n’est pas un auteur suisse, mais l’un des plus grands écrivains européens du 20e siècle. Dans son récit intitulé « Lors de la construction de la muraille de Chine », écrit en 1917, un constructeur chinois dit à un moment donné: « Notre pays est si grand, aucune fable ne saurait rendre sa grandeur, c’est à peine si le ciel peut l’enserrer. » Dans ce texte de Kafka, cette grandeur énorme de la Chine entraîne par la suite des conséquences véritablement grotesques.
Franz Kafka était très fasciné par la Chine, mais il n’a jamais eu l’occasion de voyager en Chine. Son texte ne traite pas la Chine réelle, mais Kafka utilise la Chine comme métaphore, comme image pour un pays lointain et gigantesque qui possède des aspects exotiques et fabuleux. Dans la littérature européenne, on rencontre souvent une telle Chine imaginaire; le texte de Franz Kafka est seulement un exemple pour une telle image littéraire de la Chine: la Chine comme écran de projection pour l’imagination des Européens. Dans la littérature européenne, la Chine est souvent un « Ailleurs imaginaire », un pays lointain imaginé. Cette après-midi, Madame la professeure Jakubec va vous parler plus de cette Chine comme « Ailleurs imaginaire » et elle va vous donner des exemples tirés de la littérature suisse.
Bien sûr, cette utilisation métaphorique et imagée de la Chine est seulement possible à cause de la grande distance spatiale et géographique qui sépare l’Europe de la Chine. Cette distance est si grande, que le pays lointain reste inconnu et peut être réinventé dans l’imagination. En Europe, c’était surtout le cas au Moyen-âge. L’un des récits de voyage les plus populaires du Moyen-âge étaient les « Voyages » de Jean de Mandeville qui a vécu au 14e siècle [autour de 1360]. Il décrit tous les pays du monde comme s’il les avait vus lui-même. En vérité, il n’a jamais fait ces voyages autour du monde. Sur la Chine, Jean de Mandeville écrit qu’il y existe des animaux fabuleux et des plantes merveilleuses. Néanmoins, son public du Moyen-âge a cru son récit, et son livre a connu un grand succès.
Celui toutefois qui ne voulait croire de telles inventions littéraires, mais qui voulait savoir comment l’Extrême-Orient était vraiment, il devait faire l’énorme effort d’un voyage en Chine, surmonter la distance immense et s’engager dans cette aventure qu’est la rencontre avec les gens qui y vivent réellement. Un Européen qui a entrepris cette aventure déjà au Moyen-âge, était Marco Polo [1254-1323, voyage de 1271 à 1295]. A la fin du 13e siècle, il séjournait pendant plus de 20 ans en Chine et après, il a raconté en Europe tout ce qu’il y avait vu. Mais ses contemporains européens ne l’ont pas cru, par moquerie, on l’appelait « Monsieur Million » parce qu’on pensait que les grands chiffres de population qu’il donnait, la grandeur des villes chinoises et de l’Empire chinois avec ces nombreuses provinces, devaient être de la pure invention et exagération.
Correspondant à la vérité, Marco Polo raconte que la ville Quinsai, qui s’appelle aujourd’hui Hangzhou, possède 1,6 millions d’habitants, 12’000 ponts en pierre et une circonférence de 100 lieues. A l’époque, Beijing avait déjà 1,2 millions d’habitants. Mais au Moyen-âge en Europe, personne ne pouvait imaginer que des villes tellement grandes puissent exister. Cette incompréhension est liée aux dimensions beaucoup plus petites qu’avaient toutes les choses en Europe à l’époque pour comparer: à l’époque, la « métropole » Paris avait seulement 280’000 habitants (bien qu elle fût résidence du roi et possédât déjà une université). Donc, tandis qu’on prenait Marco Polo pour un imposteur et menteur, on acceptait les animaux fabuleux de Jean de Mandeville.
Or, le Moyen-âge est passé depuis longtemps. Mais cette grande distance géographique se fait toujours remarquer aujourd’hui, à l’époque des moyens de transport et de communication modernes, par exemple par la durée du vol en avion ou par la différence des horaires lorsqu’on essaie de. téléphoner en Chine depuis la Suisse.
Je suis heureux que nous ayons pu nous engager dans cette aventure comme Marco Polo, que nous ayons pu surmonter cette grande distance et que nous puissions ici et aujourd’hui vous rencontrer tous. Un peu comme Marco Polo, je crois que la rencontre entre les êtres humains est plus importante que l’image que l’on se fait en distance. Néanmoins, je voudrais vous raconter une histoire qui se trouve chez Jean de Mandeville. Bien que cette histoire soit inventée, elle contient pour moi quelque chose de vrai: Jean de Mandeville raconte qu’un homme a voyagé de l’Europe à travers l’Asie jusqu’en Chine et est arrivé à la mer. Ici, l’homme se décide à continuer son voyage dans la même direction. Il traverse la mer vers l’est, va autour du globe et s’approche vers sa patrie., Mais de ce côté-ci, depuis l’ouest, il n’a jamais vu sa patrie. Alors il ne la reconnaît pas, la prend pour un pays étranger, se retourne, rebrousse chemin, traverse la mer vers l’ouest jusqu’à ce qu’il arrive en Asie et retourne enfin chez lui par le même chemin par lequel il était venu au début.
Je crois que ceci est une expérience importante et utile que l’on peut ramener chez, soi en revenant d’un voyage tellement loin: c’est-à-dire que l’on voit son propre pays d’un autre côté, d’un côté nouveau, inhabituel et inconnu. J’espère que nous pourrons ramener cette expérience en rentrant chez nous de Chine.
Je vous remercie!